La semaine dernière (vendredi 17 et samedi 18 Juin) se tenait le tout premier Festival de la réalité virtuelle (VR) dédiée au cinéma au Forum des Images à Paris. Deux journées ouvertes aux professionnels comme au public pour découvrir les toutes premières expériences cinématographiques en matière de réalité virtuelle, à travers la programmation d'une dizaine de films. L'occasion d'assister aussi à une table ronde sur le sujet, et de rencontrer les professionnels, qu'on annonce comme les pionniers d'une nouvelle ère. Entre découverte, fascination et frustration, bilan de 2 journées qui nous auront mises dans la peau d'un robot, d'un aveugle, d'une femme voulant se faire avorter, d'un spectateur de cirque, et nous auront donné un sacré mal de crâne le lendemain. Le genre de soirée cool qui se termine toujours par une gueule de bois.

10 films vus en une seule journée, voilà un rendement que même le Festival de Cannes ne peut pas concurrencer. Cela est dû naturellement à la courte durée des films présentés (25 minutes pour le plus long) lors de cette première édition du Paris Virtual Film festival. On connait tous cet objet, ce casque dont tout le monde fait l'apologie depuis quelques mois. Cette manière soudaine de se couper du monde qui nous entoure pour se plonger dans un autre. Et s'il est déjà commercialisé dans l'univers du jeu-vidéo, ce n'est pas encore le cas pour le cinéma, en dehors d'une seule salle spécialisée à Paris. Cela est dû surtout à la complexité du média « cinéma » et aux principes que la réalité virtuelle bouscule : identification du spectateur au personnage, immersion, expérience collective/individuelle, scénarisation, réalisation, espace de la salle de cinéma... tout est remis en cause par cette technologie, qui pourtant n'en n'est qu'à ses débuts.

Extrait de I Philip

Être ou ne pas être un personnage ?

Les films présentés étaient répartis en plusieurs programmes distincts, de 4 films par programme, pour une durée de 45 minutes au maximum. On remarque une première chose : les projections ne se passent non pas dans les salles de cinéma du Forum, réservées aux tables rondes, mais dans les différents espaces d'accueil, où à chaque fois une vingtaine de sièges tournants sont installés. Car la réalité virtuelle ignore deux choses : la stagnation des mouvements du spectateur face à l'écran et la socialisation à l'oeuvre au sein d'une salle de cinéma. Pourtant, comme nous l'explique un réalisateur lors de la table ronde du vendredi sur la narration et l'écriture dans la réalité virtuelle : « On essaie de limiter les mouvements du spectateurs. L'un des principaux débats aujourd'hui est de décider si l'action se passe dans champ de vision de 180° ou de 360°. Les États-Unis ont choisi le 180° pour l'usage sur le canapé. Nous on ne sait pas encore, ça va dépendre des réactions des spectateurs. ». Effectivement, on perçoit cette hésitation à travers les films présentés, bien que nous ayons assisté à une majorité de propositions qui offraient un film à 360°. Le documentaire THE ARK sur le rhinocéros blanc a lui fait un compromis, en proposant deux espaces distincts à 180°, au sein donc d'une sphère à 360°.

Le premier film auquel nous assistons est certainement celui qui nous aura le plus marqué : I PHILIP. Pour cette première expérience, on est plongé dans le corps d'un androïd, une sorte de réincarnation robotique de l'écrivain Philip P. Dick, qui se remémore des souvenirs de sa dernière histoire d'amour. Un film de 14 minutes qui rappelle grandement la série Black Mirror dans les codes qu'il utilise et les enjeux narratifs. Sauf qu'ici, le plus intéressant, c'est justement l'impact de la réalité virtuelle sur ces mêmes enjeux. Et c'est à double-tranchant. C'est à dire que le réalisateur met en avant l'une des problématiques principales de la réalité virtuelle dans le cinéma, qui est celle de l'identification au personnage. Ici, on est le robot, on entend sa voix de la même manière que nous nous entendons parler dans la réalité. Sauf que dans la vraie vie, on n'est tout simplement pas un robot, et on a donc du mal à faire "corps" avec ce personnage. Il semble donc très difficile d'insuffler une identification du personnage en dehors du cas où il nous ressemble en tout point (âge, sexe, pensée...).

C'est l'une des limites soulevées lors de la table ronde par son réalisateur : « Il y a des films, dont I Philip, dans lequel on incarne des hommes. Et des femmes qui avaient vu le film m'ont avoué qu'elles n'avaient pas pu s'identifier, tout simplement parce qu'elle n'en étaient pas un dans la vraie vie. Le fait de voir un bras d'homme à la place du leur provoque une forte distanciation chez elles ». On touche ici du doigt l'une des questions fondamentales de cette incarnation : faut-il montrer les membres de celui qu'on représente, c'est à dire que lorsqu'on baisse la tête, on aperçoit nos bras, nos jambes, etc., ou au contraire n'être qu'une voix, ou un point fixe ? Tous les films auxquels nous avons assisté ont choisi la deuxième option, sauf I Philip justement, qui allie les deux : point fixe lorsqu'on incarne le robot, et personnage matérialisé lorsqu'on se trouve dans les souvenirs de Philip. P. Dick. C'est d'ailleurs ce parti pris qui permet la subtilité du film : on est à la fois dans le corps de Philip P. Dick et dans sa réincarnation, le processus mental quant au robot s'en retrouve donc transformé, et permet une meilleure appropriation du personnage.

Son, cinéma d'animation et expérimentations : les atouts de la VR

Autre aspect remarquable, que l'on retrouvera également dans le film INSIDE THE BOX OF KURIOS, c'est le travail sur le son. Coupé du monde réel et un casque audio sur les oreilles, la sonorité est incroyablement immersive, si bien que nous avons même cru à un moment que quelqu'un assis à côté nous parlait. Mais c'était bien l'un des personnages. Plus que ça, la spatialisation permet un suivi. On tourne la tête et les paroles du personnage de gauche passent dans notre oreille droite.

Une autre forme de fiction intéressante, c'est le cinéma d'animation en VR. À l'image de l'effet bénéfique de la 3D sur les dessins-animés en salles, la réalité virtuelle fonctionne sur ceux-ci comme un catalyseur. Le court-métrage d'animation INVASION, présenté à en mai à Cannes d'ailleurs, donne la température : on suit deux petits extraterrestres bleus qui viennent se poser sur la planète Terre, nous faire face, avant que deux lapins blancs cartoonesques viennent en quelque sorte nous sauver (désolé pour le spoil, mais en même temps c'est dans le synopsis). Et ça fonctionne totalement, à la fois dans la narration, le jeu de rôles, l'identification et les personnages. On ne sait pas trop pourquoi au départ d'ailleurs. Un début de réponse est apporté par l'un des participants à la table ronde, qui nous dit que « pour les dessins-animés, le spectateur est dans un autre monde que le sien. Plus c'est éloigné, plus c'est facile de se mettre dedans. ». Le deuxième film animé du festival THE ROSE AND I, une libre interprétation du conte du Petit Prince, animée en stop-motion, confirme cette bonne impression (même si, en soi, ce mini-court métrage est un peu faiblard).

Invasion, un film d'animation VR sélectionné à Cannes

Enfin, la troisième expérience la plus marquante était le film NOTES ON BLINDNESS : INTO DARKNESS. Le film nous propose tout simplement de nous mettre à la place d'un aveugle, de « voir » comme lui. C'est à dire que dirigé par les sons extérieurs naturels (rivières, chants, vent dans les arbres, piano...), l'aveugle perçoit sous ses paupières des éclats bleutés qui représentent, pour lui, l'image mentale de ce son, à l'endroit d'où il provient. Plus que la qualité du film (qui était pour le coup interactif, bien qu'un peu long), c'est une expérience mentale de narration assez subtile que nous proposent là ses réalisateurs : le casque de réalité virtuelle nous coupe de la vision du monde qui nous entoure, à l'image de la cécité pour les aveugles. Recréer l'univers visuel imaginé par ces derniers, c'est donc permettre une forte identification, renforcée par l'interactivité de certains passages.

Balbutiements technologiques et artistiques

Pour autant, ce festival de réalité virtuelle nous aura t-il tant enthousiasmé que ça ? Et bien finalement, en dehors des exemples précédents, pas tellement. On sent bien qu'on n'en est qu'aux prémices, et qu'encore beaucoup de questions se posent. Si on prend par exemple la programmation dans son ensemble, il y a un premier problème, c'est la place de la fiction et de la narration. Si on exclue les deux mini-documentaires (THE ARK et DMZ : MEMORIES OF A NO MAN'S LAND), sur les 8 fictions auxquelles nous avons assistées, seules deux avaient réellement une ambition scénaristique, avec une intégration du spectateur (ces deux films étant nos deux principaux exemples précédents, I PHILIP et INVASION). Les autres étaient plutôt des expérimentations, sortes de films-tests (voire interactif comme SENS) sans beaucoup d'ambition, ni de recherche de mise en scène ou de narration. Le danger est justement qu'on se contente de l'apparat de la technologie et de l'argument de l'immersion pour nous servir des films qualitativement faibles.

On est ressorti (ou disons plutôt qu'on a enlevé l'écran devant nos yeux) de plusieurs d'entre eux très dubitatifs sur certains choix artistiques. À l'image surtout d'ACROSS THE LINE, dans lequel on incarnait une patiente d'un centre médical souhaitant avorter, et qui faisait face à des manifestants anti-avortement. La promesse du synopsis est que le spectateur « éprouve la compassion et l'aide » du personnage. Mais cette ambition est gâchée par une volonté qui à première vue semble intéressante, à savoir celle d'utiliser deux formes de récit : la prise de vue réelle et l'animation. Sauf qu'alors que la fiction réelle nous plonge dans le film et permet un bon démarrage, l'animation casse tout en nous proposant un univers graphique urbain digne du jeu-vidéo FIFA 98, avec des personnages immobiles, qui ne daignent même pas nous regarder lorsqu'ils s'adressent à nous. Ça fait tâche. Il en va de même pour SENS, objet audiovisuel entre film et jeu-vidéo, dont les graphismes très standards vont faire rire les développeurs de réalité virtuelle dans l'univers du gaming, qui ont déjà 4 coups d'avance.


Mais surtout, le problème principal aujourd'hui reste tout simplement la technologie, à savoir le casque. Si les spectateurs des salles de cinéma se plaignent des grosses lunettes rouges nécessaires à la 3D, qu'ils attendent de tester le port du casque de réalité virtuelle. Du moins, ceux que nous a proposé le Festival, car il y évidemment différentes gammes de casques. Déjà, la moitié des films nous a presque été gâché par un soucis qui n'est pas si anodin : la buée. Celle-ci s'est très souvent formée sur l'écran du portable qui nous servait d'écran, ce qui nous sortait instantanément du film. Pour une technologie qui prône l'immersion, c'est quand même dommage. Alors on fait un compromis : on serre au maximum le casque sur notre tête pour qu'aucune buée ne s'engouffre, quitte à avoir le haut du nez en feu pendant les 15 minutes de la durée du film à cause de l'inconfort. C'est un point crucial que les développeurs vont devoir améliorer s'ils ont l'ambition d'une démocratisation. Et d'autre part, cette réalité virtuelle fonctionne donc avec un smartphone intégré au casque (même s'il existe une technologie plus poussée, avec écran intégré). Le problème de cette utilisation du portable n'est pas des moindres : on voit les pixels devant nous. C'est embarrassant car ils mettent immédiatement une distance avec film qui nous est offert à partir du moment où on les remarquent. Ajouté à cela une netteté et un réglage de la vision pas forcément évidents, ça donne un résultat bien loin de la promesse initiale.

« Tout le monde fait attention à ne pas faire vomir les gens. Mais il y en a qui vont le faire, c'est sûr. On peut imaginer de la torture en VR »


Pour conclure, abordons un point intéressant de la narration, qui pour le moment n'est ni un problème, ni une nouveauté, mais un enjeu. C'est la sensation de mouvement et d'équilibre dans l'espace. « La réalité virtuelle qui recrée des roller-coasters, c'est une aberration, ça provoque une chute en arrière, que nous nous ne cherchons pas. » nous dit un réalisateur de VR. Effectivement, les seuls films que nous avons vu et qui nous mettent en mouvement restent dans la même posture : ne nous faire subir aucune turbulence. Dans DMZ : MEMORIES OF A NO MAN'S LAND, on nous fait avancer de façon rectiligne, comme si nous étions immobiles sur un tapis roulant. Et en même temps, on entend nos bruits de pas dans le casque audio. C'est assez déstabilisant, et pour nous, cette posture ne fonctionne pas : le mouvement n'accompagne pas le son que nous entendons. Comme si on lançait une assiette par terre, qu'on entendant le bruit d'une assiette qui se casse, mais qu'on la voyait intacte.

D'ailleurs, le cinéma a pris le parti de la non-liberté de déplacement dans le cadre. Pour tous les films, si un objet se trouve devant nous à 1 mètre de distance, avancer vers celui-ci se sert à rien, il y aura toujours le même écart. Il en va de même si on se lève de notre chaise. Cela semble résulter d'un contrat tacite que les professionnels du milieu ont établi entre eux. Le réalisateur d'I PHILIP, nous raconte d'ailleurs une anecdote qui l'a perturbé à ce propos : « J'ai testé un film américain, où dans le menu on nous demandait de nous mettre de debout pour le film. Mais moi je n'en avais pas envie alors je suis resté assis. Sauf que je n'ai rien compris au film, parce que j'ai passé 15 minutes à avancer dans les fougères. Je pensais que c'était un truc très expérimental, mais en fait à la fin du film on m'a dit que l'action se déroulait au dessus de ces fougères ».

Notes on Blindness, ou ce que voit un aveugle sous ses paupières

Et si la réalité virtuelle donne une sensation d'immersion, jusqu'ou peut-elle aller ? Peut-elle chercher à bousculer nos repères ? Il est vrai qu'aucun des films du festival ne comportait de réelle violence ou d'expérience horrifiques. Les spectateurs ne sont-ils pas prêts ? Les professionnels restent prudents sur la question : « Tout le monde fait attention à ne pas faire vomir les gens. Mais il y en a qui vont le faire, sûrement. On peut imaginer de la torture en VR. Après, il y a toujours cet objet du casque, que tu peux enlever ». Nous dit l'un des intervenants, ce à quoi un autre répond : « Oui mais par exemple, à Cannes, il y a eu une projection de Paranormal Activity en réalité virtuelle. Et les gens hurlaient, c'était terrifiant à voir de l'extérieur. Mais personne n'a pour autant enlevé son casque. ».

La VR satisferait-il donc les fantasmes malsains des spectateurs ? Nulles doutes que c'est un filon qui sera exploité à l'avenir. Quoi qu'il en soi, la réalité virtuelle pour le cinéma a encore beaucoup de chemin à faire, et doit encore répondre à de nombreuses problématiques. Les possibilités sont immenses, les contraintes énormes, et il sera intéressant de voir l'évolution de tout ces enjeux lors de la deuxième édition du festival (on l'espère) l'année prochaine. En attendant, le monde du jeu-vidéo est déjà bien plus au point sur cette technologie que le cinéma, et ce n'est pas si étonnant.