Il est sans doute le réalisateur le plus connu du cinéma américain. Un nom que l'on évoque même sous forme de blague informelle lorsqu'on veut rire des ambitions de nos proches qui pointent leur caméra ou l'outil vidéo de leur smartphone vers nous : « Arrête de faire ton Spielberg. ». Tonton Steven est LA référence. Et non content d'être aussi le cinéaste le plus important du continent américain, il continue, à l'heure de souffler (bientôt) ses 70 bougies, d'avoir un rendement impressionnant. Quitte à prendre le risque de ne plus intéresser le public, et à perdre du galon, ce qui tend à se vérifier les dernières années. Cependant, si l'héritage qu'il laissera au cinéma semble désormais au moins quinze ans derrière lui, il reste toujours un auteur fascinant. Surtout grâce à un thème qui lui est cher, et dont il s'est fait le maître et précurseur indéniable : l'enfance. Plus que ça, Stevy incarne à lui tout seul un genre, dont aujourd'hui beaucoup de cinéastes s'inspirent, et qui place le thème de l'enfance au cœur du récit et de ses enjeux. Parce qu'au fond, Spielberg est resté un enfant. Et on retrouve cette évidence dans sa dernière œuvre en date, Le BGG – Le Bon Gros Géant, en salles.

E.T L'extraterrestre, Jurassic Park, L'empire du Soleil, Rencontres du 3ème type, A.I Intelligence Artificielle. Tout ces films ont deux points communs : ils sont réalisés par Steven Spielberg, et ils placent le thème de l'enfance au cœur du récit, avec un personnage principal qui n'a généralement pas plus de 10 ans. Le maitre du cinéma a trouvé là son territoire de prédilection. Il est devenu M. Spielberg grâce à une thématique qui paraît toute simple, mais qui pourtant recèle toute la subtilité de ce que peut offrir le cinéma. Avec son nouveau film, Le BGG – Le Bon Gros Géant, clairement un film pour enfants, il pose une nouvelle pierre sur cet édifice. Mais s'il s'est construit cette patte, c'est parce que c'est avant tout lui même un grand enfant.


L'obsession de l'âge de l'insouciance

Il suffit de visionner ou de lire a peu près toutes les interviews que maitre Spielberg a pu donner pour son dernier film. Le cinéaste déclame tout le temps la même phrase « Je suis resté un grand enfant ». Les témoignages des acteurs qui ont eu la chance de tourner sous sa direction sont unanimes : il insuffle cet esprit sur le plateau de tournage. Gad Elmaleh, interviewé pour son rôle dans Les Aventures de Tintin : le Secret de la Licorne en 2011, déclarait d'ailleurs à son propos : « Je n'avais jamais vu ça. Sur un plateau c'est un vrai gamin, même pas blasé, trop heureux d'être là, comme si c'était son premier film. Il filmait d'un angle, puis courait à l'autre bout du plateau pour s'allonger et en essayer un autre. C'est très agréable de voir un tel artiste vivre sa passion à fond. Alors qu'au vu son passif, il pourrait très bien faire le minimum et personne ne le lui reprocherait ».

Il n'est donc pas si étonnant que le film Les 400 coups de François Truffaut fasse partie de ses films préférés. Comme une sorte de socle filmique idéologique, d'une enfance frénétique et abandonnée, qu'il s'agit de réhabiliter. D'ailleurs, si l'on s'intéresse à la deuxième thématique principale du travail de Steven Spielberg, à savoir la science-fiction, on remarque une chose : A.I. Intelligence Artificielle, La Guerre des Mondes, Rencontres du 3ème Type, E.T. L'extraterrestre : la clé de ces films est incarné par un mot : E.N.F.A.N.C.E. L'innocence comme signe d'espoir en réponse à la morosité du futur. Et même dans ses films disons plus adultes, le thème est bien là. Comment ne pas se souvenir de cette petite fille au manteau rouge dans La Liste de Schindler, seule lumière visible dans le noir et blanc triste et âpre de cette période trouble filmée d'une main de maître. La meilleure conclusion de ce phénomène ? Juste un fait : Steven Spielberg a réalisé Hook ou la revanche du Capitaine Crochet. Il illustre ainsi à merveille son obsession en mettant en scène le personnage enfant qui refuse de grandir, devenu ici un adulte frustré par la vie qu'on lui propose. C'est presque son biopic. Et puis allez, pour le plaisir, et conclure sur ce point, on vous repasse l'audition du jeune Henry Thomas (alias Elliot) pour E.T L'extraterrestre, à la fin de laquelle le cinéaste lui dit tout simplement « Ok Kid, you got the Job ».

L'enfant Spielberg peut-il survivre à la postérité ?

Cette passion de Spielberg pour l'âge de la découverte est aussi un penchant sur lequel s'appuient au cinéma ceux qui se revendiquent comme ses héritiers. À l'image de J.J. Abrams (Super 8), Jeff Nichols (Midnight Special) ou même Colin Trevorrow (Jurassic World). Trois réalisateurs pour trois films qui justement proposent l'alliance de la science-fiction comme genre et de l'enfance comme sujet. Il est d'ailleurs assez curieux de voir à quel point tout le monde veut absolument chercher un héritier à Spielberg. L'affiche de Midnight Special l'utilisait même comme argument marketing. Mais c'est oublier que Spielberg est toujours actif. Pourquoi chercher un héritier à quelqu'un qui n'a pas terminé son œuvre ?

Tout simplement parce qu'il semble que ce que Spielberg a apporté au 7ème art est derrière lui. Les Dents de la Mer, Il faut sauver le Soldat Ryan, La Liste de Schindler, E.T. L'extraterrestre, Indiana Jones et Jurassic Park resteront longtemps dans la mémoire collective. Mais si on fait le bilan, quels films réalisés après les années 2000 restera t-il de lui ? Disons Arrête-Moi Si Tu Peux pour le duo Di Caprio-Hanks, et dans une moindre mesure Lincoln pour l'Histoire et Daniel Day Lewis, et peut-être Minority Report. Mais ils ont déjà beaucoup moins d'influence que les films précédemment cités. Et ce n'est pas Le BGG – Le Bon Gros Géant qui va changer la donne. Car si le film est visuellement superbe et plein de poésie, ça reste un « petit » Spielberg, qui, loin des ambitions d'E.T L'extraterrestre, ne cherche pas à plaire autant aux parents qu'aux enfants. Il s'adresse cette fois uniquement au derniers cités. Oui, on parlera sûrement du film cet été, et puis on passera vite à autre chose.


La deuxième explication est qu'il semble aussi que la patte de l'enfant Spielberg soit profondément ancrée dans l'époque dans laquelle il l'a insufflée, et dont il s'est fait le fer de lance : les années 1980. Ce fameux « esprit Spielberg », caractéristique d'autres œuvres de ces années charnières : Les Goonies, L'Histoire sans fin, Gremlins... Le vrai héritage laissé par Spielberg est là. Sortir Le Bon Gros Géant aujourd'hui, ce n'est pas tant entretenir cette patte, c'est plutôt assouvir son désir d'évoquer encore et encore cette thématique, quitte à livrer un film somme toute assez banal. Aussi, qu'est ce qui, dans sa filmographie, survivra à Steven Spielberg ? Excepté E.T L'extraterrestre et Jurassic Park, pas sur qu'on se souvienne de lui pour cette patte de la jeunesse éternelle, mais plutôt pour ses films d'un tout autre genre : encore une fois, Les Dents de la Mer, Il faut sauver le Soldat Ryan, La Liste de Schindler, Indiana Jones et Arrête Moi si tu peux. Oui, c'est de ceux-ci que l'on se souviendra. Et Le BGG, aussi sympathique soit-il, n'est qu'un pion de l'échiquier Spielberg, dont d'autres œuvres se sont déjà faites roi, reine, fou ou cavalier.